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Intermède vénitien

     J’ai longtemps envisagé Venise comme une chimère, un de ces rêves que l’on tente de retenir, que l’on devine essentiel mais qui cependant se délite, se fond dans une couleur équivoque rappelant toute aube sans désir. Ce rêve était-il raisonnable ? Certes, non. Tant d’illustres personnages ont vécu et créé dans cette ville, ont laissé là une empreinte si importante et durable que mes représentations mentales semblaient condamnées par avance à la désillusion, au ridicule, au possible mensonge, demeureraient lettre morte.

   Jusqu’à présent, rien n’était parvenu à flétrir l’intégrité de ce territoire que j’ai mille fois parcouru en songe, dont j’ai étudié les arcanes grâce aux ouvrages d’auteurs réputés, dont j’ai souvent scruté les couleurs sur les toiles des maîtres et les mouvements dans les films de cinéastes consacrés, dont j’ai entr’aperçu la vibration céleste et marine à l’écoute de musiques célèbres. Non, rien n’était parvenu à abîmer la pureté de mon projet. Ni les cartes postales, ni les chansonnettes, ni les dépliants polychromes, ni les documentaires savants, ni l’encens fétide des thuriféraires et encore moins les ricanements des assouvis.

 

Extrait.

 

"La peinture catholique italienne de la Renaissance a peuplé d’anges les « ciels » de ses tableaux: des bambins replets folâtrant nus dans la nue, parfois de simples figures joufflues, affublées d’un collier d’ailerons de poulets.

Le royaume de l’éther ne pouvait pas ne pas être habité. Qu’avait-on à proposer d’autre ? Les prêtres affirmaient qu’il convenait de mépriser les étoiles : ces simples trous dans la toile de la nuit qui laissaient passer la lumière du créateur. « Quelle profondeur pour le firmament ? » ironisaient-ils. « La mer assumait la sienne, cela suffisait. » Ils interpellaient les rares contradicteurs, les brûlaient parfois : « Vous avez dit : planètes ? Vous avez dit : astres ? Le Soleil est un païen. Méritoire, certes, pour les moissons, mais un païen tout de même ! » Il fallait pourfendre les cultes archaïques. Il fallait moquer ces prétendues révolutions de notre Terre soumise à l’attraction d’une fournaise blasphématoire. « La Lune se révèle ténébreuse et froide. Alors, abandonnons-la aux hérétiques et aux sorcières ! » Ils ne savaient rien des marées. Le Paradis devait rester à la hauteur des nuages. Cela n’avait rien d’incroyable. Ceux-ci ne s’effilochaient-ils pas souvent au fil des campaniles ? Pourtant, les seules créatures ailées visibles à Venise restaient les pigeons, lesquels chiaient sur sa splendeur."

    

     Intermède vénitien, chronique de voyage en prose poétique

éditions Encres Vives, collection Lieu, février 2019

ISSN: 1281-4741 / ISBN: 2-8550

plaquette: 16 pages

 

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