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Revue Décharge N°197

(mars 2023)

Ils dansent & Tel que, in : L'inventaire des étoiles.

Voix nouvelle : Gérard Le Goff

Chronique publié le 7 janvier 2023 sur le site de la revue Décharge par Claude Vercey.

  

Les poèmes de Gérard Le Goff, je les ai découverts récemment grâce à Jean-Pierre Otte , le fameux rabatteur (je n’en énumère pas, une fois de plus, les mérites : je renvoie simplement aujourd’hui au Repérage du 10 octobre 2022, repris par ailleurs dans Décharge 196, et présentant Yves Arauxo.)

Je suis conscient que le titre de cette chronique où j’inscris ce poète est des plus réducteurs : il suffit de consulter sa bibliographie, forte de douze titres – je m’en tiens aux seuls recueils de poésie – pour s’en apercevoir. Mais la particularité de ce poète, né en 1953, est qu’il ne publie que depuis peu, c’est-à-dire après qu’il a pris sa retraite, et depuis 2018, quasi exclusivement aux éditions Encres Vives. Il est temps assurément qu’il élargisse son aire d’activités, dont par ailleurs témoigne, il est vrai, sa présence dans les revues Haies Vives, du Festival Permanent des Mots et Traversées, sur les sites successifs d’Eric Dubois.

Le poème ci-après est extrait de L’Inventaire des étoiles, recueil achevé mais qui reste inédit, et d’où je tirerai d’autres pages à lire dans un prochain Décharge.

 

Sur la table des vieux

 

Sur la table des vieux, il y a des médicaments. Des tubes de cachets, des plaquettes de comprimés, des flacons. Et puis l’ordonnance : papier plié puis inséré entre deux cartons pour ne pas oublier.
Sur la table des vieux, il y a, chaque dimanche, deux verres de vin cuit et des biscuits à la cuiller disposés sur une assiette en porcelaine brodée de fleurs naïves.

Sur la table des vieux, il y a un vase sans eau qui contient des fleurs artificielles.

Sur la table des vieux, il y a l’almanach de la Poste, illustré avec des photographies de chiots en couleurs.

Sur la table des vieux, il y a des pelotes de laine et des aiguilles. « Ce tricot qui n’avance pas. »

Sur la table des vieux, il y a un cahier de mots fléchés. À l’intérieur, un tronçon de crayon et un bout de gomme.

Sur la table des vieux, il y a un poste à transistors qui ne chante plus.

Sur la table des vieux, il y a une feuille d’automne ramassée lors d’une promenade et oubliée là, si belle qu’ils ne se décident pas à la jeter.

Sur la table des vieux, il y a le courrier des derniers jours, parfois de la semaine. Des factures, des prospectus incompréhensibles ou inutiles, quelques cartes postales. Ils laissent croître l’amas pour se persuader qu’on se souvient d’eux.

Sur la table des vieux, il y a, chaque soir, une tisanière. « Verveine, tilleul-menthe ou camomille ? »

Sur la table des vieux, il y a une boîte à musique en métal guilloché. Elle joue un air simple et enjoué. Peut-être Mozart.

Sur la table des vieux, il y a, roulées en boule, les chaudes écharpes qui les protègent des rigueurs du climat quand ils sortent. Parfois.

Sur la table des vieux, il y a le fantôme du chat, mort l’année précédente. Sur ce coin de meuble, il avait l’habitude de s’asseoir de longs moments, calme et attentionné. Tant que, désormais, sur leur rétine, surnage, fugace, son reflet roux.

Sur la table des vieux, il y a un gros album de photographies. Ils l’ouvrent et le feuillettent souvent. Alors commence la litanie des : « Tu te rappelles ? ».

Sur la table des vieux, il y a un faire-part de décès décacheté. Un de plus.

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