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Gérard Le Goff, L’orée du monde

Éditions Traversées, 60 pages, © 2020

 

Chronique de Lieven Callant

 

Dans sa présentation de l’ouvrage, Gérard Le Goff évoque « les années blanches », périodes plus ou moins longues où les « vicissitudes de l’existence » mettent en sourdine les nécessités d’écrire. Soudain, on ne sait plus quoi faire de ces tiroirs remplis d’écrits spontanés qu’on ne peut plus corriger, ils restent tels nos rêves flotter à la frontière des mondes qui les ont vu naître. Ainsi est le cheminement du poète, il est fait de lumières et d’ombres, de silences et de prises de parole, de cris et de murmures, de renoncements mais aussi et surtout d’acceptations. Le poète ne veut-il pas nous dire qu’il n’est pas toujours nécessaire de réussir, d’être performant, de répondre à toutes nos attentes mais d’attendre le bon moment ? N’est-ce point finalement le voyage qui importe avant la destination?

Les textes repris ici sont tous passés par le métier à tisser des réécritures, ils se ressemblent car on reconnaît dès les premiers vers, la voix de Gérard Le Goff: amoureuse des détails justes et arborant une certaine affection pour les promenades solitaires et salutaires qui finissent par nous rapprocher de l’autre après une intéressante contemplation des alentours. 

Les textes qui composent les deux livres de ce volume sont différents les uns des autres comme le sont les enfants d’une même fratrie, multiples dans leurs efforts, leurs manières de se présenter, de nous réjouir, de nous confronter aux questionnements inhérents à la vie. Poèmes nus ou habillés de rimes ou prose harmonieuse.

Le poète est celui qui parcourt les chemins invisibles, traverse les frontières, trottine, allonge le pas ou s’arrête pour contempler ce qu’il se passe de l’autre côté de la barrière. Il garde en lui la faculté de redevenir sauvage, explorateur, il se pose à la marge, à l’orée du monde, des mondes qu’il découvre sans a priori, sans grille de lecture, en se défaisant presque de l’habitude. Je songe que le poète est ce loup solitaire infatigable, qui ne se domestique pas, qui choisit l’inconfort de la liberté d’aller à la sécurité de rester avec sa meute. Gérard Le Goff est un écrivain qui pour avancer se fie à une sorte d’instinct pur. Pas de jugement hâtif, ni de conclusions glauques, aux pleines certitudes et aux emprisonnements de la pensée, il choisit l’aurore ou le crépuscule comme la frontière d’un nouveau cycle, il choisit le défi des saisons, les aléas de la route, le changement léger. Il aime et se place toujours à l’orée du monde.

L’écriture de Gérard Le Goff est de celle qui choisit de vous accompagner discrètement, elle vous suit comme une ombre. Au lieu de vous poursuivre, elle vous invite au retrait, à la mise en suspens des choses pour les observer et non pour les engloutir et forcer la vie.

© Lieven Callant

Cette chronique est parue le 22 février 2020 dans la revue Traversées - Poésie, études, nouvelles, chroniques. Virton, Belgique.

Lieven Callant est administrateur et membre du comité de lecture de la revue Traversées.

Gérard Le Goff, L'orée du monde

Chronique de Claude Luezior

 

Dans la quatrième de couverture d'un recueil tout à la fois dense et explosif est évoquée, au nom du « changement »,  la « cohérence interne » de textes en prose ou à la verticale, rimés ou libres, alternant avec une manière d'aphorismes.

 

Ici, le langage n'a plus cours.

 

Le silence est la réponse à ce questionnement subtil et narquois

que ressasse la mer, vague après vague.

 

Pas de souci : la cohérence est ici, avant tout, une maîtrise peu commune de la langue, à savoir, le frottement fructifère des mots, le scintillement d'images impromptues. Prenez un livre "en poésie" à n'importe quelle page : lisez lentement, relisez, chuchotez, goutez, mâchez. Vous verrez bien s'il y a de l'âme, du souffle, du style...

 

Dame de la plus haute solitude

Cesse d'égrener les versets du désir

Tombent les atours de l'aube

Faisant de tes certitudes un vain apparat

 

Dame de la plus haute solitude

Laisse-moi croire que tu n'es qu'une ombre

Que jamais tu ne laisseras une cicatrice

Dans la chair de ma mémoire

 

Gérard Le Goff nous offre l'aube de sa plume : maîtrise plurielle, avec ou sans majuscules, ponctuation ou vers, tantôt ruisseau ou cascade, rêves ou turbulences, architecture ou fractals. Lire, mais surtout relire pour déceler sa pensée, la nôtre peut-être, au second degré, ses hésitations, ses doutes, L'orée du monde, d'un monde : le sien, le nôtre à travers son sang, tout au travers de traces ainsi effleurées. Trouver des sens complémentaires, un horizon qui s'organise ou se délite dans la brume, décortiquer l'inachevé, s'écorcher mains et pieds sur des sentes tierces. Déchiffrer d'autres lignes, d'autres  strates.

 

Vous m'espérez avant de ma craindre

Jamais là quand il le faudrait

Jamais comme je devrais vous plaire   (...)

 

Je tourne les plages

Effleure leurs marges d'écume

Rature d'épaves leur blancheur suspecte (...)

 

Je gonfle les voiles des navires sur leur erre

Pour mieux demain les drosser

Jouets cajolés et puis brisés (...)

 

Je suis le vent

 

Plaisir de découvrir un auteur maintes fois publié par Encres Vives. Plaisir, grâce au verbe, à la magie qu'il sécrète, de déchiffrer une fraternité nouvelle.

 

                                                                             © Claude Luezior

Cette chronique parue le 24 mars 2020 dans la revue Traversées - Poésie, études, nouvelles, chroniques. Virton, Belgique.

Claude Luezior, médecin spécialiste en neurologie, est un écrivain suisse-romand: poète, romancier et essayiste. Il a été lauréat d'un prix de poésie de l'Académie française en 2001 et fait chevalier de l'Ordre des Arts et Lettres en 2002.

Gérard Le Goff, L’orée du monde

Chronique de Joseph Bodson

 

Un recueil attachant, à la fois par sa simplicité et sa variété. Simplicité dans le choix des mots, des tournures. Variété dans les mètres, dans l’alternance  poésie/prose poétique, qui donne richesse à ce recueil, avec une sorte d’allégresse, mais sans jubilation.

Le tout, comme le titre le suggère déjà, est une question de lieu. Là où nous sommes, d’où nous venons, d’où nous allons. Livre premier : Cités, faubourgs et autres encerclements., partant d’un exergue de James Douglas Morrison: The city forms – often physically, / but inevitably psychically – a circle. Alternance de poèmes courts et longs, sous des couleurs plutôt nostalgiques : Blues parlé de l’amertume :

La nuit tourbillonne / chaos de mouvances/ Poudre de cendre les lèvres closes // L’aube ouvre sa plaie entre ciel et mer / D’où giclent les oiseaux/ Le temps est venu des sommeils sans rêve

Confusion des matières, à la page 19, confusion de l’être, comme à la page  24 :

A peine le pied posé sur la berge promise, il me faut pourtant convenir avoir abandonné derrière moi un mystère identique, renversé dans ce courant que ternit l’ombre passagère, où vient de se noyer mon double qui tardait tant à me suivre.

Livre second, Lieux-dits, atterrages et autres alentours – Qu’est-ce que nous réfractons? / Les ailes que nous n’avons pas – René Char.

(…) Pourquoi se souvenir de l’odeur de l’orage / Dans le tremblement traversier des épis / De l’âcre senteur de la poussière mouillée / De ces chemins sans âge brodés de fougère ou de givre / Là s’égarer s’avérait impossible / Guidés / Par ce pan d’éternité vacillant / Aux cimes fébriles des futaies

Le bout du monde et Cartographie m’ont apporté un grand bonheur de lecture, ainsi dans le dernier cité :

Personne n’habite plus ici. Pas âme qui vive Depuis des années, des siècles peut-être. Même les spectres ont déserté. Le patrimoine bâti est parfaitement conservé pourtant. Pour quelle raison? Un retour des vivants serait-il envisageable? Non, bien entendu,  puisque le village n’existe que dans un rêve. Le seul arpenteur de ces rues est un dormeur éveillé ici. // Ne venez pas troubler mon sommeil.

Et tout se conclut par un poème court, éponyme : L’horizon, de quoi rien ne délivre, dérobe l’orée du monde.

Car derrière l’horizon, il y a toujours un autre horizon.

 

© Joseph Bodson

 

Cette chronique est parue le 19 mars 2020 sur le site de l'AREW.

 

Joseph Bodson est licencié en philologie classique. Membre du conseil d'administration de l'Association des écrivains belges de langue française (AEB). Président de l'Association royale des écrivains de Wallonie (AREW) et de la Fédération culturelle wallonne du Brabant wallon et de Bruxelles.

Gérard Le Goff, L’orée du monde

Chronique de Philippe Leuckx

 

Une belle découverte.

Qu’un enfant se souvienne ou que l’on traque les trains des soirs, il y a ici un sens de l’observation assez aigu pour nous faire partager « aux confins de la plaine invariable » des moments sombres, d’ombre, un « temps aboli au risque de l’oubli ».

De lents et longs poèmes cartographient des atmosphères de « bout du monde » entre jour vaillant et nuit inquiète.

Des poèmes issus de nos « mémoires mouvantes » décrivent avec l’œil et la sensibilité d’un enfant qui veille « ces jours d’hiver traînant leur gris de muraille ».

Perec, ici récité, n’est pas loin et les souvenirs ont un certain cachet :

Je me souviens des plumes d’acier bleuté et des boulettes de buvard trempées dans l’encrier de porcelaine…

 

Cette chronique est parue le 6 février 2021 sur le site Les Belles Phrases d'Eric Allard.

Philippe Leuckx est un écrivain et critique belge.

Un message sympathique de Jean-Pierre Otte, le 29 janvier 2022 sur Facebook.

Bonjour, cher Gérard,
Je lis L'orée du monde et c'est vraiment très beau puisque :

Un envol d'oiseaux nous enseigne l'évidence
Ils traversent les fenêtres closes
Quand les voiles se diluent
Sur la ligne de partage du ciel et de l'eau


J'espère que tout se passe au mieux pour vous en ces temps mauvais qui n'en finissent pas de se plisser et se replisser sur eux-mêmes.
Avec une peinture à la cire pour vous dire mon salut amical.

Peinture à la cire de J.-P. Otte.jpg
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