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Un roman dans le roman : Gérard le Goff, Argam, Éditions Cloé des Lys, 2019, 237 pages

 

Chronique de Sonia Elvireanu

Un roman complexe Argam de Gérard le Goff qui fait plonger le lecteur dans un univers étrange, à la limite du réel qui glisse subtilement dans l’irréel. Un roman dans le roman, très dense et incitant, aux multiples histoires et narrateurs, riche de descriptions détaillées à la manière de Balzac. Il rappelle le roman gothique par son côté fantastique, ses procédés narratifs,  les décors et certains personnages.

Une trame difficile à démêler, car l’intérêt de l’auteur est focalisé sur un cas de psychiatrie, un territoire incertain à explorer. Entrer dans l’esprit d’un aliéné pourrait avoir des conséquences fatales pour celui qui s’y hasarde, comme les personnages de ce roman.

Mais le romancier  sait s’alléger du fardeau de l’aliénation trop lourde pour le lecteur pour donner à son roman tant son côté d’aventures, que celui de polar et de fantastique.

À partir des personnages bien rangés dans la vie sociale, un avocat et un psychiatre, deux amis, l’auteur construit un premier récit dont le narrateur est en même temps l’acteur des aventures rocambolesques du roman, donc personnage narrateur.

Dans ce cadre réel, il introduit un deuxième récit à l’aide d’un manuscrit trouvé par la police et confié au psychiatre Samuel Berstein. Le narrateur inconnu raconte une étrange histoire vécue sur une presqu’île où se trouvait le manoir abandonné d’une diva du XXème siècle, une chanteuse, adulée pour sa voix et sa beauté éblouissantes.  

Un troisième récit tient au côté policier du roman, une enquête sur la disparition d’un aliéné dangereux de l’hôpital psychiatrique. Un quatrième : la biographie de la diva, trouvée dans une monographie de la région s’imbrique aux autres. Son auteur se mêle aux aventures bizarres des deux amis.

Enfin, il y a à la fin le récit d’un ami de l’avocat Osborne, qui a disparu mystérieusement de chez lui. Et dans l’épilogue, l’aliéné qui raconte, continuant de griffonner sur des feuilles ses délires.

Malgré ses multiples récits qui s’imbriquent comme les poupées russes à déconcerter le lecteur, le romancier  maîtrise à merveille le fil de la narration, sait créer le suspense, maintenir la curiosité du lecteur jusqu’à la fin, elle même à interpréter en dépit des fils narratifs qui se démêlent partiellement.

Contrastant avec la complexité de la substance narrative touffue qui se ramifie toujours vers d’autres domaines liés au fantastique, tels l’alchimie, l’ésotérisme, la psychiatrie, l’architecture du roman est assez rigoureuse : entre le prologue et l’épilogue, les chapitres numérotés ont en plus un titre qui annonce l’événement. Cela permet de structurer le roman et de faciliter le repérage de ses multiples récits.

Quant aux personnages, réels ou fantastiques (les esprits qui hantent le manoir, les figures diformes), ils sont placés dans les décors adéquats à leur situation, réelle ou imaginaire. La curiosité et l’esprit d’aventure de quatre personnages raisonnables, les deux amis, plus le libraire et le savant, l’emportent sur la raison, les poussent à des aventures incroyables, les plongeant dans l’étrangeté de l’atmosphère irréelle du parc et du manoir abandonné de la diva à la rencontre du fantastique.

La quête du mystérieux domaine et la fête d’étranges masques dont parle le manuscrit rappellent en quelque sorte  Le Grand Meaulnes d’Alain Fournier.

Le talent narratif du romancier s’associe au goût de la description autant du réel que de l’irréel. Les images hallucinatoires, délirantes du parc et de l’intérieur du manoir de la presqu’île contrastent avec les détails précis du décor quotidien. L’auteur fait preuve d’une imagination débordante à créer l’effet hallucinatoire, fantastique du paysage.

Le romancier envisage ses personnages d’un œil de psychologue qui sait lire, deviner leurs sentiments et émotions cachés. Il semble vivre avec eux leurs aventures, s’y prendre comme ceux-ci dans les délires de l’aliéné pyromane. Il prouve son intérêt pour la psychanalyse dans le choix du sujet et les explications médicales du psychiatre durant ses conversations avec l’avocat.

La fin laisse au lecteur le soin de juger la part du réel et de l’irréel du roman et de l’énigme policière. On ne pourrait pas dire exactement qui est l’aliéné enfermé à l’hôpital psychiatrique. On pourrait y reconnaître chaque personnage narrateur, y compris l’auteur, qui semble s’identifier parfois à ses personnages.

 

                                                          © Sonia Elvireanu

Cette chronique est parue:

le 9 octobre 2020 sur le blog-notes littéraire d'Eric Allard: Les belles phrases;

le 17 octobre 2020 sur le site Mondes francophones - Revue mondiale des francophonies;

le 27 octobre 2020 dans la revue Traversée - Poésie, études, nouvelles, chroniques. Virton, Belgique.

Sonia Elvireanu est poète, romancière, critique, essayiste et traductrice. Membre de l'Union des écrivains roumains. Professeur à l'Université de Cluj-Napoca, Roumanie.

06 juin 2021

Christine Brunet a lu Argam de Gérard Le Goff

Source : Aloys

 

Drôle de titre, non ? Sur la première de couverture, un manoir mangé par un lierre effeuillé. D'ailleurs, ce n'est pas le visuel qui m'a attiré mais plutôt la lecture de la fiche de diffusion de l'auteur. 

J'adore les mystères... Mais certains d'entre vous le savent déjà !

Ce livre est une sorte de voyage... géographique, d'abord, mais également voyage au coeur de l'âme humaine. ON oscille très vite entre réalité et fantastique: à quoi... ou à qui les héros "enquêteurs" (un avocat et un psy, entre autres...) sont-ils confrontés dans la propriété abandonnée (enfin, normalement) de la prima donna , Martha  de Hauteville ?

Certaines péripéties semblent réelles, normales, mais d'autres pourraient bien relever des élucubrations d'un dément.

Le lecteur tangue en permanence entre deux mondes : il y a les faits et il y a... le reste. Mais comment expliquer les indices matériels si rien n'est vrai ? Question qu'on se pose à toutes les pages et je dois dire que le final ajoute de l'huile sur le feu !

Gérard Le Goff se joue du lecteur comme de ses personnages avec maestria. Il crée une atmosphère pesante à souhait, un environnement morne, presque uniforme pour mieux nous attirer dans sa nasse dans l'esprit des récits d'Arthur Conan Doyle. Le style, légèrement désuet, épouse parfaitement l'époque et le caractère des personnages. 

A découvrir sans faute !!! 

 

Christine Brunet

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