De l'inachèvement des jours
Les jours se suivent. Il importe peu qu’ils se ressemblent ou pas. Seule compte leur succession. Puisque l’unique jour qui s’achève pour de bon est le dernier. Le jour du grand départ, de la vacance ultime.
Tout en nous consolant donc de son inachèvement, il conviendrait d’épuiser le jour comme on le ferait de nos forces. Cela ne devrait pas nous sauver mais nous aider à vivre.
Dans cette plaquette, on ne trouvera que des fragments. Vestiges de jours anciens. Souvenirs de vie. Regroupés en quatre parties, comme on peut admettre qu’il existe quatre fractions dans une journée : le matin, le midi, l’après-midi et la nuit.
Le lecteur pourrait croire fouiller dans une boîte à chaussures ou une bonbonnière qui furent bourrées après usage de photographies et de pages de carnets griffonnées.
Bien sûr, cet inventaire laissera une impression d’inachevé. Cartes postales jamais rédigées. Souvenirs d’enfance, cette inépuisable malle. Simples balades. Personnages croisés, souvent oubliés. Anecdotes vécues ou rapportées. Lieux familiers que l’on dit souvent communs.
Les moyens mis en œuvre n’ont guère coûté. Une parole bienveillante. Le tracé d’un sentier non su. La navigation hasardeuse des nuages dans le ciel. Un chuchotement devenu baiser à l’insu du soleil. Une bribe de musique sur la portée du vent. La signature des oiseaux dans le grand livre des arbres. La mare effaçant la pluie.
Que sais-je encore ?
Pour épuiser le jour, tout ce qu’il nous plaira demeurera équitable, à la condition toutefois d’accepter la survenue de l’ardeur en chaque évidence.
Extrait.
"Les matinaux peuplent d’autres hameaux de mémoire. Je les ai rêvés par dépit de les méconnaître. Qui étaient donc ces hommes plus farouches que des bêtes débusquées, mains et visages de cuir labouré ? Les outils de fer et de bois leur pesaient à peine. La terre haletait à leur approche. Ils savaient les sentiers qui frôlaient les bois d’ombre, les marais embués. Ils mesuraient le temps à la marche du soleil, qu’ils devinaient malgré la pluie, qu’ils épiaient au travers du fouillis des oiseaux, de l’apeurement des feuilles. Ils partageaient le pain, la soupe, le lard, le silence. Leur sommeil était vaste comme la mer qu’ils feignaient d’ignorer. La peine se posait là, pourtant ; le labeur et les guerres ont troué leurs rangs. On les nomme souvent nos ancêtres. Cela est commode quand on a oublié jusqu’aux noms du vent."
De l'inachèvement des jours, 62 fragments en prose poétique
éditions Encres Vives, collection Encres Blanches, octobre 2018
ISSN: 1625-8630 / ISBN: 2-8550
plaquette: 16 pages